Pendant que la ConfĂ©rence de lâONU sur la biodiversitĂ© (COP15) battait son plein Ă MontrĂ©al ces derniĂšres semaines, Le naufrage de Venise dâIsabelle Autissier a attirĂ© mon attention.
En nous mettant aux premiĂšres loges de lâanĂ©antissement de la SĂ©rĂ©nissime, ce roman ne peut quâĂ©veiller les consciences environnementales. Une tempĂȘte sâabat sur la ville, les digues cĂšdent et, par un effet domino, les palais sâeffondrent les uns aprĂšs les autres. La scĂšne est campĂ©e. Et pourtant, depuis des lustres, les signes avant-coureurs Ă©taient lĂ : les infrastructures municipales avaient Ă©tĂ© malmenĂ©es par les gigantesques bateaux de croisiĂšre, la lagune et sa biodiversitĂ©, elles, dĂ©truites par les exploitations pĂ©troliĂšres du siĂšcle dernier.
Bref, Venise est lâexemple du dĂ©veloppement touristique et industriel dĂ©bridĂ© qui ne se soucie ni de la biodiversitĂ© ni des populations locales. Pour justifier ce dĂ©veloppement, les arguments Ă©conomiques aux courtes visĂ©es ont Ă©tĂ© avancĂ©s et entĂ©rinĂ©s. Isabelle Autissier souligne les investissements « Ă court terme pour faire venir le plus de personnes possible, alors que la ville en crĂšve dĂ©jĂ . »
« Câest le contraire quâil faut faire », Ă©crit-elle encore : « limiter cet afflux inutile, Ă©carter les vitesses de circulation, restaurer les zones humides, traiter les pollutions. Au lieu dâemplois de pacotille, miser sur un dĂ©veloppement endogĂšne de Venise, en faire une citĂ© vĂ©ritablement des arts et de la connaissance, un centre universitaire mondial pour Ă©tudier les effets de la montĂ©e des eaux » sur la biodiversitĂ© et consĂ©quemment, sur la population.
Destruction du monde
Nous roulons Ă tombeau ouvert vers la destruction de la biodiversitĂ©, vers notre propre destruction. Ainsi, si nous continuons Ă croire que nous sommes des Merlin lâenchanteur ayant pour principale boussole le dĂ©veloppement Ă©conomique, nous courons inĂ©vitablement Ă notre perte. Comme le disait le SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies : « Il nây a pas de planĂšte B. Câest Ă nous de rĂ©parer le monde que nous avons. »
Message que portent aussi les leaders des populations autochtones en prÎnant une vision à long terme : sans protection de la terre mÚre, sans préservation de la biodiversité, nous courons aveuglément à notre anéantissement.
Capitalisme et néolibéralisme
Mais quelle est la source de cette vision mercantile du monde, devenue apocalyptique, qui fait non seulement fi de la biodiversitĂ©, mais Ă©galement des droits de la personne? Le capitalisme et le nĂ©olibĂ©ralisme exigent une croissance Ă©conomique constante, dont bĂ©nĂ©ficient les privilĂ©gié·es qui ne reprĂ©sentent quâune infime partie de la population et sâenrichissent au dĂ©triment de la majoritĂ©.
Le capitalisme et lâesclavage font bon mĂ©nage, comme lâa soulignĂ© lâhistorien Edward E. Baptist, professeur Ă lâUniversitĂ© Cornell dans son livre The Half Has Never Been Told : Slavery and the Making of American Capitalism.
Il a constatĂ© que la richesse des Ătats-Unis est intimement liĂ©e au travail des esclaves et Ă lâindustrialisation du pays. Lâexpansion de lâesclavage converge avec lâexpansion du capitalisme. Lâesclavage a Ă©tĂ© profitable tant pour les Blancs du Nord que pour ceux du Sud. Pour lui, lâesclavage a « tuĂ© des gens, en grand nombre », les a fait « vivre dans la terreur et la faim » et « a tout volĂ© » aux survivant·es.
Pour sa part, Françoise VergĂšs, dans Une thĂ©orie fĂ©ministe de la violence, souligne que le capitalisme nĂ©olibĂ©ral, liĂ© au patriarcat, a gĂ©nĂ©rĂ© son lot de « violences discrĂštes, mais rĂ©elles : Ă©puisements des corps, de la terre et des mers pour faire des profits; rĂ©duction draconienne de lâespĂ©rance de vie pour les plus fragiles. Ce tournant patriarcal et nĂ©oconservateur est dâautant plus violent quâil sâappuie le plus souvent sur un capitalisme racial. »
Aujourdâhui, certains subissent encore lâesclavage et le tĂ©lĂ©phone portable nây est pas Ă©tranger.La (RDC) est responsable de 60 % de la production mondiale de cobalt. Ce minerai est un Ă©lĂ©ment essentiel de la batterie rechargeable du tĂ©lĂ©phone portable. Ce sont plus de 40 000 enfants qui lâarrachent des entrailles de la Terre. Les sociĂ©tĂ©s chinoises qui contrĂŽlent 75 % du marchĂ© du cobalt planĂ©taire.
Câest la poursuite des frais dâexploitation les plus bas, capitalisme oblige, qui transforme des enfants en . Leur futur sâannonce des plus sombres : la demande mondiale de cobalt ne fera que croĂźtre.
Tout est lié
Le Guardian quâune lettre signĂ©e par dâĂ©minents chercheurs demande que « les Parties Ă la COP15 doivent sâengager Ă stopper et Ă commencer Ă inverser la perte de biodiversitĂ© dâici 2030, pour nous mettre sur la voie dâun rĂ©tablissement oĂč les Ă©cosystĂšmes peuvent fournir les fonctions dont les gens ont besoin ».Tout est donc liĂ© : les droits de la personne, le respect de la biodiversitĂ©, le respect des droits des plus vulnĂ©rables.
Une vision holistique du monde sâimpose Ă nous et il y a urgence! Seulement ainsi pourrons-nous affronter les multiples crises, sociales et environnementales, auxquelles nous faisons tou·tes face.
Me Tamara Thermitus Ad. E.
Me Thermitus est chercheuse invitée au Centre des droits de la personne et du pluralisme juridique de l'Université UUֱȄ. Admise au Barreau du Québec en 1988, elle est titulaire d'une maßtrise en droit (2013) de l'Université UUֱȄ axée sur la théorie critique de la race et les droits de la personne. Elle a été directrice des politiques et de la planification stratégique au Bureau des pensionnats indiens (2004-2006). En tant que négociatrice en chef du gouvernement fédéral, elle a négocié le mandat de la Commission de vérité et de réconciliation. Pendant prÚs de 25 ans, elle a été avocate plaidante au Bureau régional du Québec de Justice Canada.
Tout au long de sa carriĂšre, Me Thermitus s'est engagĂ©e Ă lutter contre les discriminations. AprĂšs avoir Ă©tĂ© prĂ©sidente du ComitĂ© consultatif sur les minoritĂ©s visibles du ministĂšre fĂ©dĂ©ral de la Justice , de 2004 Ă 2010, elle a Ă©tĂ© prĂ©sidente du ComitĂ© sur les communautĂ©s culturelles du Barreau du QuĂ©bec. Ă ce titre, elle a Ă©tĂ© parmi les premiĂšres Ă sensibiliser les instances du Barreau aux questions relatives Ă la discrimination raciale dans la profession et le systĂšme judiciaire au QuĂ©bec. Elle a dirigĂ© la rĂ©daction de plusieurs mĂ©moires sur le profilage racial et la discrimination raciale. Elle a Ă©galement Ă©tĂ© lâinstigatrice du cours sur le contexte social du droit pour l'Ăcole du Barreau.
En plus d'ĂȘtre confĂ©renciĂšre sur les questions de discrimination raciale, depuis juin 2020, Me Thermitus utilise sa plume pour Ă©duquer les Canadiens et les QuĂ©bĂ©cois sur des questions telles que le racisme systĂ©mique, l'intersectionnalitĂ©, la rĂ©conciliation et la violence Ă l'Ă©gard des femmes.RĂ©cipiendaire de la MĂ©daille du jubilĂ© de la Reine Elizabeth (2012), Me Thermitus Ad.E. (Advocatus Emeritus) a reçu de nombreux prix dont le MĂ©rite du Barreau du QuĂ©bec (2011), elle est la premiĂšre avocate noire Ă recevoir une telle reconnaissance. Elle a Ă©galement reçu le Prix du leadership en matiĂšre d'Ă©quitĂ© en emploi et de diversitĂ© (ministĂšre de la Justice, 2010 et 2016).